Quid du respect de la procédure collégiale en fin de vie ?
9 juin 2020
9 juin 2020
Trier c'est choisir
Quid du respect de la
procédure collégiale en fin de vie ?

Dans votre article « Trier c’est penser » (Philosophie magazine de juin 2020) vous faites appel à plusieurs témoignages.
Pierre Valette médecin urgentiste, responsable du SAMU du Pas-de-Calais est l’auteur d’une thèse de philosophie sur le tri médical et d’un essai intitulé « Ethique de l’urgence, urgence de l’éthique » (PUF 2013). Il nous invite à la prudence. Il s’agit de pertinence des soins et non pas de tri. La cinétique est lente et il y a du temps pour mettre en adéquation les besoins et les moyens. Il s’agit d’abord de bien orienter les malades pour permettre à ceux qui sont les plus gravement atteints de bénéficier des meilleurs soins. Ensuite, seront admis en réanimation ceux qui auront la meilleure chance de survie sans séquelle. Au médecin de décider et de répondre, en responsabilité (au sens que lui donne Emmanuel Levinas) à l’appel du malade auquel le médecin ne peut se dérober. Comment affronter cette responsabilité en situation de pénurie de moyens ? Mais le médecin n’est pas un surhomme et il ne s’agit pas seulement d’appliquer une règle systématique. Il aura à répondre de ses décisions et Pierre Valette nous invite à veiller à la collégialité dans la prise de décision. Laquelle ?
Pour Frédérique Leichter-Flack c’est de justice distributive dont il est question ? Trier n’est pas décider de qui doit vivre mais respecter un souci d’équité dans l’allocation des ressources. Refuser de trier serai s’en remettre à la règle désastreuse du premier arrivé, premier servi. Il s’agit donc, selon la règle de la philosophie utilitariste, de maximiser la qualité et la durée de vie, sans gaspiller les ressources, tout en ne nuisant pas au malade. La réanimation d’attente permet souvent d’éviter d’avoir à choisir entre la responsabilité envers un patient en particulier et la responsabilité envers l’ensemble des malades. Mais en situation de crise, cette pratique compassionnelle n’est pas possible, on ne peut occuper des lits utiles à d’autres.
Quant à elle, Julie Pouget, médecin en soins palliatifs a été chargée d’élaborer une stratégie d’accompagnement des patients atteints du Covid-19 dans les EHPAD. Elle nous dit que l’objectif de sauver des vies n’est pas toujours éthique. Il s’est agi de choisir les malades qui ne relevaient pas de la réanimation et les plus de 75 ans ont été exclus de celle-ci. Mais comme des lits de gériatrie ont été ouverts, il a été décidé d’y admettre tous les malades atteints en EHPAD, sans préoccupation de bientraitance et en surestimant leurs capacités de récupération. La question de la mort étant un sujet tabou, la décision de réanimer est souvent prise d’emblée, sans avis d’un tiers et la question de la fin de vie se pose après que l’escalade thérapeutique ait eu lieu. Faut-il, en situation de pénurie de moyens, privilégier la survie ou le soulagement ? Un point positif cependant, la mise en évidence du nécessaire recours au principe de justice et d’équité dans l’évaluation de la pertinence des soins, principe éthique sous employé en France.
Enfin, c’est un médecin canadien qui nous rappelle que le principal acteur de ce drame est le malade. « Des comités américains ont introduit des recommandations objectives pour l’attribution des ventilateurs, mais je crois plutôt au colloque singulier du médecin avec son patient, afin de déterminer ce que l’on appelle au Canada, le bon « niveau de soins. Il s’agit d’explorer avec lui comment il imagine sa fin de vie…pour identifier les enjeux d’une belle mort ». Vinh-Kim Nguyen, anthropologue et médecin urgentiste à Montréal reconnait que les recommandations de la « médecine fondée sur les preuves » peuvent aider aux décisions cliniques et à l’organisation des soins, mais le risque est de voir « l’application sauvage d’un principe utilitariste pour l’évaluation de la vie, en fonction de critères médico-épidémio-statistiques ». Le critère de l’âge est le plus souvent évoqué en France. Pour lui, il est important d’introduire les légitimes questions d’ordre culturel au sein du débat médical.
L’EBM ou « médecine fondée sur les preuves » s’est développée à partir des années 80. Elle est vite devenue la science médicale des esprits superficiels qui ont cru et croient encore que quelques résumés d’essais en double aveugle contre placebo, suffisent à faire de la médecine « scientifique ». C’est oublier que, telle que conçue par ses fondateurs, elle consiste lors de la décision médicale, à intégrer les données actuelles de la science, issues de la recherche, à celles issues de l’expérience du praticien et à la demande du patient. Il est frappant de voir le peu de considérations sur le point de vue du patient dans votre article, à l’exception du médecin canadien.
Trop occupés à rechercher des critères substantiels à leurs décisions de sélection des malades, les médecins interviewés semblent négliger l’importance des critères formels de la prise de décision. Les critères de l’éthique procédurale de la discussion procèdent du postulat que, dans nos sociétés moralement plurielles, la seule manière de construire des normes justes est la discussion argumentée et égalitaire entre les intéressés, permettant le consensus (Jürgen HABERMAS et K.O APEL). Il s’agit, en bioéthique, d’aborder les problèmes éthiques et les dilemmes médicaux à travers une structure séculière, laïque, de rationalité à la hauteur de l’ère d’incertitude que nous traversons. Le pluralisme des valeurs nous amène à nous préoccuper des principes mais aussi des questions de procédure.
Le principe d’autonomie structure l’éthique procédurale, il exige le respect pour autrui considéré comme une fin en soi et refuse la violence sous toutes ses formes. Il y a violence partout où le consentement d’autrui est étouffé, partout où l’on se propose de faire à autrui son bien malgré lui. D’où le principe de bienfaisance qui devient celui de « faire aux autres leur bien » c’est-à-dire de leur faire le bien qu’ils souhaitent qu’on leur fasse. D’où le principe de non-nuisance qui devient celui « d’éviter aux autres les risques qu’ils souhaitent éviter ». Enfin, le principe de justice comme équité suppose que la procédure soir appliquée à tous de manière équitable.
La procédure collégiale prévue à l’article 37 du code de déontologie médicale (article R.4127-37 du code de santé public) issue de la loi Claeys-Leonetti et de ses décrets d’application (2016) est inspirée de l’éthique procédurale de la discussion. Elle prévoit que les décisions d’arrêt et de limitation de traitement, lorsque le patient est hors d’état d’exprimer sa volonté, ne peuvent être prises qu’après avoir pris connaissance des directives anticipées si elles existent, avis d’un second médecin n’ayant aucun lien de subordination avec le médecin traitant, recueil de l’avis de l’ensemble des soignants, Information de la personne de confiance où, à défaut de la désignation de celle-ci de la famille ou des proches. L’ensemble de la procédure suivie doit être inscrite au dossier médical. La mise en place d’une sédation profonde, continue en fin de vie est également soumise à cette procédure.
Cette procédure collégiale formalisée garantit à la fois l’absence d’obstination déraisonnable et d’euthanasie à l’insu du patient et de sa famille. A-t-elle été suivie dans les services de réanimation et dans les EHPAD ? Les procès instruits par les familles pour défaut de soins et non-assistance à personnes en danger nous le dirons.
Docteur Alain Masclet.
Président de l’association AR2S.
Association loi 1901
Siège social : 74 rue Royale 59000 LILLE
Secrétariat : 28 rue Lucien GUSTIN 59224 THIANT
Tél : 03 27 24 68 71 / 06 08 53 28 03
Courriel : a.ar2s@orange.fr / Site : ar2s.org